Les jeux vidéos occupent une place importante dans ma vie; pourquoi ?
Vivre, c'est expérimenter, ressentir, vibrer. Mon passé est rempli d'émotions colorées. J'en chéris certaines, merveilleuses, et en regrette d'autres, encore douloureuses malgré le passage des années.
J'ai toujours bénéficié d'une imagination débordante, et je me suis créé des univers parallèles dans lesquels j'évolue en même temps que dans cette illusion que vous persistez à nommer « réalité ». Mes rêves sont merveilleux, mais on leur reproche leur manque de substance. Soit. Je tente de les partager au travers de récits, romans, pièces de théâtre et autres créations, mais je reconnais qu'ils ne vous touchent pas autant que moi et qu'ils sont donc peut-être inférieurs à cette expérience tangible que nous traversons tous ensemble. Si mon imaginaire n'est qu'un paradis semi-privé, les jeux vidéos sont un territoire que nous pouvons parcourir ensemble.
À l'heure actuelle, les consoles et les ordinateurs n'impliquent qu'une partie de nos sens. Nous voyons ces mondes magiques, nous écoutons leur chant, mais nous ne pouvons pas encore les humer, les goûter, les ressentir contre notre peau ou autre. L'expérience visuelle n'est que partielle. Nous distinguons encore le virtuel du réel. Ces différences devraient peu à peu disparaître. Nous en sommes les témoins, voire les acteurs.
Je crois cependant que nous avons tort de déclarer « réel » uniquement ce qui peut être appréhendé par nos sens. Le monde des aveugles ou des sourds n'est pas moins authentique que celui que j'expérimente à travers mes cinq sens. Qui plus est, notre corps comme notre esprit succombe parfois aux illusions, aux hallucinations. Ce qui compte, c'est l'impact des situations et des êtres sur notre cœur, qu'on puisse les toucher ou non. Et croyez-moi, j'ai rencontré de belles âmes, derrière ces assemblages de pixels, et j'ai vécu des aventures passionnantes, hilarantes, jouissives.
Quelle consistance ont vos souvenirs ? Dans ma mémoire, mes vacances au bord de la mer sont tout autant immatérielles que mes virées aux côtés de Lara Croft. Le niveau de détail ne les différencie même pas forcément. Quand on rejoue à un vieux jeu vidéo, on est souvent surpris par la simplicité des graphismes ou effets sonores. On le croyait plus beau, plus riche.
Si les émotions liées au « monde réel » nous touchent plus que celles qui émanent des œuvres de fiction, c'est parce que nous croyons la matière supérieure à l'esprit. Cela constitue certes un paradigme discutable, mais je le trouve triste. Explorer les univers des jeux vidéos, quand on ne les relègue pas au rang de réalités de second plan, peut devenir une démarche spirituelle, une méditation moderne.
Les personnes qui ont frôlé les portes de la mort mais qui en sont revenues disent souvent qu'elles se sont retrouvées dans un monde qui leur paraissait encore plus réel que celui des vivants. En tant que gamers, nous expérimentons cela chaque jour. Nous redécouvrons notre monde à chaque fois que nous éteignons la console. Nous sommes des voyageurs, des explorateurs de cosmos infiniment variés, avec un port d'attache commun.
Jouer nous permet aussi de nous affranchir des inégalités et limitations imposées par la matière. Si j'ai appris à relever les défis qu'apportent un handicap, j'apprécie la liberté que me confèrent les mondes virtuels. Ce qui ne m'empêche pas de tomber d'une plateforme de temps à autre ou de vider un chargeur sans même effleurer ma cible qui se tenait pourtant à deux mètres à peine.
Celui qui ne joue pas ne vit qu'une fois. Celui qui n'aime pas ne vit pas du tout. Heureux celui qui aime jouer.